Lune, le grand loup blanc qui veillait sur Talyna, s'ébroua, chassant les gouttes de pluie qui parsemaient son pelage argenté. Ses griffes s'enfonçaient dans la terre détrempée alors qu'il dévalait la colline escarpée pour rejoindre le petit cottage niché en contrebas. L'animal s'arrêta à la lisière de la clairière et huma l'air chargé des senteurs de feu de bois et d'humus humide. Une pâle lune de Printemps pointait timidement son visage bienveillant derrière les nuages. La forêt de Baraïl était calme, plongée dans un étonnant silence après l'orage qui avait déversé sa fureur sur la demeure secrète pendant trois jours. Lune frissonna. Un sentiment d'angoisse étreignit le coeur de l'animal. Soudain, il craignait que quelque chose ne soit arrivé à Talyna pendant qu'il s'était absenté chasser. Le grand loup se rua vers la maison alors qu'un cri de douleur déchirait la nuit ..

~oOo~

Talyna se débattait férocement, empêtrée dans un rêve obscur. Elle étouffait. Tout était noir, elle était seule perdue dans un endroit immense, une étendue d'eau tiède qui semblait sans fin dans laquelle elle se noyait. Soudain, une douleur insupportable lui déchira l'abdomen, la tirant immédiatement de son sommeil pénible. Haletante, la Marchombre se redressa dans son lit. En sueur, elle tenta en vain de se débarrasser de ses draps trempés. L'eau, la douleur. Perdue dans le brouillard de ses émotions et de son cauchemar, Talyna comprit ce qui se passait. Elle n'allait pas mourrir, non. Mais elle reconnaissait cette douleur terrible qui lui vrillait le ventre : elle accouchait.
La respiration saccadée, la Machombre tâtonna à la recherche de la lumière et allait appeler Kira, qui dormait dans la chambre au dessus, lorsque la douleur attaqua, plus forte que jamais, si violente que Talyna faillir s'évanouir. Incapable de quoi que ce soit, la Marchombre s'écroula dans ses oreillers et hurla. Son cri de souffrance absolue traversa les murs et retentit dans la nuit...

En un instant, ils furent tous là, à ses côtés : Lune qui gémissait son angoisse, Kaien qui tournait en rond comme un lion en cage, et Kira, qui les mit tous dehors pour pouvoir "travailler en paix". La grande Marchombre brune assuma son rôle provisoire de sage femme avec un courage et un sang-froid exemplaire. Elle rassembla des serviettes, une bassine d'eau chaude et tout ce dont elle aurait besoin pour s'occuper de son amie et du bébé. Et puis, le travail commença....

Après une heure épuisante à écouter les cris de souffrance de Talyna, Kaien n'en pouvait plus de rester immobile et impuissant. Tendu comme un arc, il était sur le point de défoncer la porte de la chambre lorsque les cris de la Marchombre se turent enfin... Remplacés par les vigoureux braillements d'un bébé ! Un sourire éclaira le visage de Kaien. Il entra dans la pièce pour découvrir une Talyna haletante et épuisée, gisant dans son lit. Dans un coin de la pièce, Kira baignait précautionneusement le bébé, qui avait cessé de hurler. Kaien s'occupa de Talyna, l'aidant à se redresser et à enfiler un vêtement propre. Les draps mouillés furent remplacés par des draps secs dans lesquels Talyna s'allongea avec un soupir de soulagement. Enfin, elle était redevenue elle-même.
Alors, Kira vint, et déposa délicatement le bébé dans les bras de sa mère. Un sourire de bonheur émerveillé se dessina sur le visage des trois Marchombres tandis qu'ils contemplaient le visage de l'enfant.
- C'est un garçon, murmura Kira.
Un silence heureux passa, puis Talyna dit dans un souffle :
- Bienvenue, Lujan...

Rian s'avança. L'enfant, Lujan, dormait dans son berceau, paisible. Le Mentaï frotta son menton, son regard rivé en permanence sur le petit minois. Sa décision était prise depuis un bout de temps déjà. Néanmoins, il hésitait ... L'avenir de ce petit être était réellement entre ses mains. A vrai dire, Rian ne le considérait pas comme son fils, mais comme un bout de chair, un bout de sa propre chair. Maintenant, Rian souriait férocement. Les propositions du Démon l'avaient comblé au plus haut point le Mentaï en mal de gloire. Sa petite vie minable, aux côtés de Talyna, ne lui convenait pas le moins du monde.

Cette fois, les traces d'hésitations avaient disparues. Il se pencha en avant, tendant le bras vers le col du garçon, tenant fermement dans son autre main la large épée qu'on lui avait offert en cadeau d'allégeance. Soulevant l'enfant, qui avait ouvert ses yeux, et qui souriait à son père, celui-ci, dans son entière tenue de combat, entreprit de sortir de la chambre, et de descendre les escaliers. Ouvrant la porte, il tenait toujours l'enfant négligemment, par le col. Il s'avance.

La porte grande ouverte, le vent s'engouffre à présent dans la petite maison. A présent, Rian se trouve sur la colline surplombant la maison. Il porte son arme dans son dos, et berce son enfant, lentement. Le Mentaï attend visiblement quelque chose ...

[ Je réponds ce soir, promis. ]

[menteur ! t'as pas répondu ! è_é]